CULTURES D’EXPLANTS

CULTURES D’EXPLANTS
CULTURES D’EXPLANTS

Les cultures histiotypiques et organotypiques sont destinées à l’étude de la différenciation, de la multiplication et de la croissance de cellules ou d’organes explantés hors de leur milieu, mais leurs buts sont très différents: la culture histiotypique vise essentiellement à l’étude des unités cellulaires qui constituent les divers tissus d’un organe, alors que la culture organotypique a pour objet l’étude de la différenciation de cet organe et des rapports mutuels existant entre les tissus qui le constituent.

Il existe plusieurs moyens de réaliser des cultures biologiques. Si les greffes, tant végétales qu’animales, représentent un de ces procédés, elles ne permettent pas toutefois de révéler l’ensemble des propriétés intrinsèques des explants. Les greffons sont, en effet, soumis aux influences multiples de l’hôte, influences qui peuvent masquer certaines propriétés et perturber le développement. C’est pour cette raison que les biologistes ont mis au point des techniques de culture sur milieux non vivants. Les explants (cellules ou organes) y croissent dans un environnement artificiel, isolés des impulsions variées provenant d’un organisme hôte, tout en conservant les potentialités de leurs fonctions caractéristiques. Ces méthodes expérimentales sont appelées cultures in vitro . Le milieu de culture et ses éléments nutritifs y jouent, vis-à-vis de l’explant, un rôle identique à celui de l’organisme dont il provient: ils lui permettent non seulement de survivre, mais encore d’augmenter de volume et de se différencier, bref, d’avoir une activité fonctionnelle aussi normale que possible.

1. Naissance et évolution des techniques

Les premières tentatives d’observation d’un organe séparé de l’individu remontent au milieu du XIXe siècle, avec les expériences d’Alfred Vulpian (1859); cet auteur étudia le comportement de fragments de queues d’embryons de grenouilles placés dans l’eau. Il ne s’agissait pas d’une culture proprement dite, mais d’une simple survie. Néanmoins l’idée d’isoler un fragment d’organe pour observer son évolution en tant qu’individu contenait en germe toutes les potentialités des «cultures biologiques» qui naîtront un demi-siècle plus tard.

Les premiers essais de véritables cultures in vitro remontent au début du XXe siècle (1902), et sont dus au botaniste allemand Gottlieb Haberlandt, qui concevait clairement les possibilités théoriques de cette nouvelle technique et les évoquait en ces termes: «Les résultats de ces essais de culture devraient mettre en évidence les propriétés et les qualités de la cellule en tant qu’organisme élémentaire: ils devraient aussi donner des renseignements sur les rapports et sur les influences réciproques auxquels sont soumises les cellules à l’intérieur de l’ensemble d’un organisme multicellulaire.»

Haberlandt avait compris qu’il fallait utiliser des milieux nutritifs capables de fournir aux explants les substances nécessaires à leur métabolisme. Il isolait des cellules ou des petits amas de tissus (cellules de poils staminaux de Tradescantia , poils glanduleux d’Ortie, épiderme de Fuchsia ...) et les transplantait dans des milieux de culture simples formés à partir de la solution de Knopp, contenant les principaux éléments minéraux nécessaires à la plante, auxquels il ajoutait des substances énergétiques telles que saccharose, glucose, peptone, asparagine. Il obtenait ainsi une survie de plusieurs mois, ainsi qu’un léger accroissement de la taille des cellules. Mais celles-ci ne se multiplièrent jamais et tous ses efforts pour obtenir une multiplication cellulaire in vitro restèrent vains. Pendant de nombreuses années, les recherches des élèves de Haberlandt ou des autres chercheurs ne furent pas plus heureuses.

Culture de cellules animales

Alors que les travaux des botanistes se soldaient, en fait, par l’échec, les idées de Haberlandt furent appliquées avec succès aux tissus animaux et les travaux entrepris connurent un rapide essor. Le Français Justin Jolly réussit le premier en 1903 la culture des éléments figurés du sang de triton pendant plusieurs mois; la multiplication des globules rouges se poursuivait de façon normale pendant une quinzaine de jours, le rythme des divisions se ralentissant par la suite. En 1907, R. G. Harrison, en Amérique, réalisa la différenciation, in vitro , des ébauches des racines des nerfs rachidiens d’embryons de Batraciens. Il démontra que les nerfs ont un accroissement propre et s’allongent au fur et à mesure des besoins.

C’est en 1910, avec les travaux de A. Carrel et M. T. Burrows, que se trouve codifiée pour la première fois une technique générale de culture, reposant sur l’emploi d’un milieu constitué de plasma. En 1912, Carrel ajoute à ce milieu, sous forme d’extrait d’embryons, les substances de croissance qu’il dénomme tréphones (découvertes par P. Carnot en 1906 sous le nom de cytopoïétines). Dans ces conditions, il réussit la culture indéfinie par repiquages périodiques de fibroblastes de cœur d’embryon de poulet. L’expérience de Carrel provoqua dans le monde entier un développement considérable des techniques de culture de cellules. Appliquées avec succès aux travaux en cours, elles suscitèrent de nombreuses recherches nouvelles. La recherche médicale, en particulier, a bénéficié de l’emploi industriel des cultures in vitro pour la préparation de divers vaccins tels ceux utilisés contre la poliomyélite, ainsi que de nombreuses autres substances biologiques.

Culture d’organes animaux

Alors que les applications de la culture cellulaire connaissaient une grande diversification, les travaux sur la culture d’organes animaux marquaient le pas.

Il importe de préciser la distinction entre ce type de culture et la culture de cellules (culture histiotypique). Celle-ci, souvent appelée improprement culture de tissus, est destinée à préciser les caractères et les réactions des cellules qui constituent un tissu. On la réalise en transplantant un fragment de tissu dans un milieu très riche en substances nutritives. Très vite, les cellules de cet explant se multiplient de façon intense, anarchique: elles forment ainsi un voile cellulaire qui constitue précisément la culture de cellules, laquelle, par repiquages successifs, aura une durée de vie illimitée. L’explant initial, étouffé par cette prolifération cellulaire, se désorganise complètement et meurt. Au contraire, la culture d’organes a pour but de maintenir la structure initiale et l’organisation des tissus qui composent l’explant, afin de lui permettre de poursuivre son évolution. Pour cela, il faut justement éviter la multiplication trop intense des cellules du pourtour de l’explant, qui asphyxie l’organe à l’instar d’une infection bactérienne.

Les premiers essais de culture organisée remontent à 1913 et sont dus à A. Brachet qui mit en culture des vésicules blastodermiques de lapin de sept jours sur du plasma sanguin coagulé. Il réussit de la sorte à obtenir un développement progressif des explants pendant quarante-huit heures. Mais ce n’est qu’en 1926 que les travaux de culture d’organes débutèrent réellement dans un laboratoire de Cambridge (G.-B.), dont l’équipe, dirigée par Honor B. Fell, fut pratiquement la seule, durant de nombreuses années, à exploiter ce domaine de recherches. Mais les méthodes utilisées par ces chercheurs dérivaient directement des techniques de culture de cellules. Elles étaient, par suite, d’application relativement restreinte pour la culture des organes. On manquait encore d’une méthode générale qui pût s’appliquer à de nombreux organes et à de nombreuses espèces animales.

Une telle méthode, mise au point par Étienne Wolff et Katy Haffen en 1952, donna un essor considérable aux recherches sur la culture d’organes. Ces deux auteurs ont mis au point une technique adaptée aux conditions particulières de la croissance organisée en vue de concilier les conditions suivantes:

– procurer aux explants une quantité relativement restreinte de substances nutritives, afin d’éviter la multiplication anarchique des cellules;

– permettre aux explants de respirer l’air atmosphérique et fournir aux cellules un substrat inhibant leur migration afin d’éviter leur fuite hors de l’organe.

Ces deux dernières conditions sont remplies par l’utilisation d’un gel de gélose (substance extraite d’une algue marine) sur lequel les cellules ne peuvent se déplacer; on y dépose les organes qui restent à la surface de ce milieu élastique mais suffisamment résistant pour empêcher les explants de s’y enfoncer. La plus grande partie de leur surface reste ainsi en contact avec l’air du récipient de culture et les échanges gazeux sont suffisants pour assurer la respiration normale de l’organe.

Par la suite, de nombreux chercheurs français et étrangers ont utilisé et diffusé cette méthode. Toutefois celle-ci ne s’applique qu’aux petits explants (quelques millimètres au plus) et concerne donc essentiellement la culture d’organes ou d’ébauches d’organes embryonnaires. Cette technique, d’utilisation très souple et simple à réaliser, s’est révélée propice à la culture des organes les plus variés. On peut citer, parmi les organes de l’embryon de poulet ou de canard: les glandes génitales, la peau, le tube digestif, le foie, le pancréas, le rein, la syrinx (organe de la phonation), le poumon, les os, l’œil, le cœur. Celui-ci continue à battre régulièrement dix jours après avoir été explanté. Il est également possible de cultiver l’embryon entier s’il est prélevé très précocement au stade blastoderme. On peut cultiver aussi des organes de Batraciens, de Reptiles ou de Mammifères, ainsi que ceux d’innombrables Invertébrés, et enfin des tissus cancéreux d’origine animale et humaine.

Culture d’organes végétaux

Pendant les vingt années qui suivirent les premières tentatives, le problème de la culture des tissus végétaux restait toujours impénétrable. C’est en 1922 seulement qu’une voie nouvelle fut ouverte par W. Kotte, en Allemagne, et par W. J. Robbins, aux États-Unis. Les causes essentielles des échecs répétés étaient de deux ordres: d’une part les fragments cultivés étaient trop petits pour s’accroître dans un milieu de culture et d’autre part les cellules explantées étaient différenciées et avaient perdu le pouvoir de se multiplier. Kotte et Robbins eurent l’idée de prélever des pointes de racines de quelques millimètres de long comportant le méristème terminal. (Les méristèmes sont de petits massifs de cellules situés à l’extrémité des tiges et des racines; les cellules méristématiques demeurent à l’état embryonnaire pendant toute la vie de la plante et donnent continuellement naissance à des tissus et à des organes nouveaux.) Mis en culture dans des solutions minérales additionnées de glucose et de quelques aliments organiques azotés, les explants survécurent pendant une vingtaine de semaines et atteignirent jusqu’à soixante millimètres de long. Cependant, ni Kotte ni Robbins ne réussirent à obtenir la croissance indéfinie de racines isolées.

Ce n’est que dix ans plus tard que P. White atteignit ce résultat en cultivant des extrémités de racines de tomates sur un milieu contenant des sels minéraux, un sucre et de l’extrait de levure. Cette souche isolée par White, et entretenue par repiquages, vit toujours actuellement.

Culture de cellules végétales

Les expériences de White ouvraient aux botanistes une voie extrêmement féconde. Il restait néanmoins à résoudre le problème de la culture des cellules de tissus végétaux, car les botanistes, à l’inverse des zoologistes, étaient parvenus à réaliser la culture organotypique avant la culture histiotypique. En effet les cultures indéfinies de racines sont des cultures organotypiques dans lesquelles les méristèmes reproduisent toujours des racines normales constituées de trois feuillets: le cylindre central, l’écorce et la coiffe. Le but de la culture de cellules est, au contraire, d’obtenir la culture indéfinie d’une seule catégorie cellulaire.

Ce but devait être atteint par R. Gautheret en deux étapes. En 1934, d’abord, il utilisa le tissu cambial de divers arbres tels que saule, hêtre, peuplier, orme, etc. (Le cambium est le méristème latéral qui assure la croissance en épaisseur des tiges et des racines. Tout comme celles des méristèmes apicaux, les cellules du cambium conservent indéfiniment leur pouvoir de multiplication.) Explantés à la surface de tampons de coton imprégnés de solutions nutritives ou dans des milieux gélosés, les fragments de cambium multiplient leurs cellules d’une façon intense et anarchique, produisant des mamelons parenchymateux indifférenciés qui peuvent se développer ainsi pendant six à huit mois; au-delà de cette période, les cultures périclitent et meurent car elles ne supportent pas les repiquages. Puis, en 1939, abandonnant le tissu cambial des arbres pour les tissus de carotte, Gautheret réalisa des cultures sur milieu additionné d’une solution oligo-dynamique (solution contenant des traces de sels minéraux divers tels que cuivre, manganèse, nickel, zinc); il réussit ainsi à isoler une couche cellulaire qui se développe de façon indéfinie, par repiquages périodiques, tout comme les cellules animales.

La même année, deux auteurs annonçaient également qu’ils avaient réussi à mettre au point des milieux permettant la croissance indéfinie de cellules végétales: P. Nobécourt, en France, qui réalisait aussi la culture histiotypique de tissus de carotte, et P. White, aux États-Unis, qui parvenait à cultiver les tissus d’une tumeur produite spontanément par un hybride de tabac.

À l’heure actuelle, on parvient à cultiver les tissus de presque toutes les espèces végétales. Ces succès sont dus en grande partie à l’emploi de l’auxine (facteur de croissance naturel existant dans toutes les plantes).

2. Techniques de culture

Il est nécessaire d’opérer sous une asepsie rigoureuse au cours de toutes les manipulations. En effet, les explants, séparés de l’organisme, n’ont plus aucun pouvoir de défense contre les infections. Il faut donc éviter l’apport exogène de bactéries ou de spores de champignons qui, tombant sur le milieu de culture, s’y développeraient beaucoup plus rapidement que l’explant provoquant sa contamination et son asphyxie à brève échéance. Actuellement, ce danger est écarté en grande partie grâce à l’emploi d’antibiotiques variés (pénicilline, streptomycine, mycostatine...).

Milieux de culture

Les milieux utilisés pour les cultures végétales d’une part, animales d’autre part, diffèrent notablement les uns des autres. Les cellules végétales , autotrophes, ont un grand pouvoir de synthèse; leurs besoins nutritifs sont donc assez restreints. Les milieux de base sont très simples: ils contiennent de l’eau, des sels minéraux, un sucre, des substances susceptibles d’activer la division (telles que la vitamine B1 ou l’acide indole-acétique), ainsi que de la gélose dont le rôle, d’ordre physique, est de provoquer la gélification du milieu afin que l’explant reste à sa surface (fig. 1). Toutes les substances qui composent ces milieux sont parfaitement définies et peuvent être obtenues par voie de synthèse. Toutefois, les botanistes ont été récemment amenés à utiliser des substances végétales naturelles, comme le lait de coco ou le malt, substances complexes qui provoquent des stimulations très remarquables sur la croissance.

Contrairement aux cellules végétales, les cellules animales ont un pouvoir de synthèse réduit. Elles sont issues d’organismes hétérotrophes et elles demeurent tributaires du monde organique, si ce n’est du monde animal. En particulier, l’azote est nécessaire à leur développement; il faut donc leur donner cet élément sous forme de composés quaternaires, comme les protéines ou leurs dérivés. On a réussi à les cultiver en leur fournissant des mélanges complexes: sérums, plasma, extraits d’embryon, toutes substances dont il est impossible de connaître la composition exacte. Ainsi un des milieux les plus utilisés pour la culture de cellules est-il composé, en parties égales, de plasma de poule et d’extrait d’embryons de poulets. Pour la culture d’organes, on utilise couramment un milieu standard défini par Étienne Wolff et Katy Haffen et dont la composition est la suivante:

– solution de gélose à 1 p. 100 dans du liquide de Gey: 6 parties;

– extrait d’embryons de poulets de sept jours dilué à 50 p. 100 dans du liquide de Tyrode: 3 parties;

– liquide de Tyrode: 3 parties;

– S pénicilline retard (100 à 200 U. Oxford): 0,2 p. 100 du volume total.

Les liquides de Gey et de Tyrode sont des liquides physiologiques contenant des sels minéraux et du glucose.

À l’inverse des botanistes qui avaient réalisé d’emblée des cultures en milieu synthétique, les zoologistes ont d’abord expérimenté des milieux complexes, répondant aisément aux besoins des cellules animales. Puis ils ont été amenés à simplifier ces milieux naturels en remplaçant progressivement l’un ou l’autre de leurs constituants complexes par des composés organiques définis. Ils sont ainsi parvenus à réaliser des milieux entièrement synthétiques favorables à la croissance des cellules et des organes. L’emploi de tels milieux devait leur permettre de déterminer avec précision les besoins nutritifs des explants. Signalons ainsi la solution C de Wolff et de ses collaborateurs, qui comporte vingt et un acides aminés, un facteur de croissance (l’acide para-aminobenzoïque), du glucose, une vitamine; ou bien encore le milieu 858 de Healy, Fisher et Parker, solution beaucoup plus complexe constituée de cinquante substances différentes.

Méthodes de culture

Les méthodes de culture classiques n’exigent aucun appareillage compliqué. Les botanistes explantent les fragments végétaux sur des milieux contenus dans des tubes de différents calibres ou dans de gros ballons, suivant qu’ils désirent obtenir une masse de cellules plus ou moins importante. En ce qui concerne les cellules et les organes animaux, nous citerons quatre types de techniques principaux.

Techniques adaptées à la culture histiotypique

Selon la méthode de la goutte pendante , on dépose l’explant dans une goutte de plasma sanguin placée sur une fine lamelle de verre. On ajoute ensuite une goutte d’extrait d’embryon. Ce mélange coagule en quelques secondes. On retourne alors la lamelle sur une lame à concavité. Les bords de la lamelle sont lutés à la paraffine. L’explant se trouve placé de la sorte dans une petite chambre humide en contact avec l’air atmosphérique nécessaire à la respiration de ses tissus (fig. 2). Les cultures sont alors mises à l’étuve à température convenable.

La méthode de la culture trypsinée consiste à soumettre l’explant à l’action de la trypsine (enzyme protéolytique) et à une dilacération mécanique qui provoquent la dissociation et la libération des cellules. On dépose quelques gouttes de la suspension cellulaire obtenue dans des récipients à fond plat contenant le milieu de culture. Les cellules s’étalent et prolifèrent. Cette technique présente une variante qui permet la culture de grandes quantités de cellules: la culture sur microbilles. La suspension cellulaire initiale est placée dans un récipient contenant des microbilles spéciales en suspension dans le milieu nutritif liquide. Les microbilles, sur lesquelles les cellules se déposent, constituent un support d’une surface considérablement plus importante que les seules parois du récipient. On peut ainsi obtenir des quantités cellulaires qui permettent l’exploitation industrielle.

La technique du clonage consiste à isoler une cellule d’une suspension cellulaire, et à constituer une colonie à partir de cette cellule unique. On obtient de la sorte une culture de cellules génétiquement homogènes, que l’on appelle clone. Ce procédé est utilisé tant sur le plan expérimental que sur le plan industriel où il permet, après sélection des clones, la production de substances à usage thérapeutique.

Technique adaptée à la culture organotypique

Suivant la méthode standard d’Étienne Wolff et Katy Haffen, le milieu (cf. supra ) est coulé dans un godet de verre dit salière (fig. 3). Les explants sont déposés à la surface du milieu; la salière est fermée au moyen d’une plaque de verre lutée à la paraffine et portée à l’étuve.

Repiquages

Le repiquage est une opération essentielle en culture histiotypique, aussi bien chez les végétaux que chez les animaux. En effet, la culture commence par une prolifération cellulaire autour de l’explant initial, formant une masse composée de cellules de différents types provenant des tissus du fragment explanté. Or, le but de la culture est d’obtenir une souche pure, c’est-à-dire une culture constituée d’une seule catégorie cellulaire. Pour réaliser cela, on choisit sur la culture initiale des petits massifs de cellules particulièrement saines et en voie de croissance rapide, que l’on transplante sur un milieu neuf. Par repiquages successifs, on arrive à isoler des colonies cellulaires pures que l’on peut maintenir indéfiniment en culture en poursuivant régulièrement les repiquages.

3. Résultats

Culture histiotypique

Les cultures de cellules végétales ont fourni des résultats particulièrement intéressants en physiologie, et plus précisément en ce qui concerne l’étude des besoins nutritifs des tissus: besoins en ions minéraux, en glucides, en régulateurs de croissance (auxines, vitamines, substances naturelles). Parmi les substances naturelles favorables à la croissance, le lait de coco (albumen liquide) s’est révélé doué de propriétés très remarquables sur la division cellulaire, propriétés dues principalement à la kinétine, substance du groupe des kinines. Les tumeurs végétales, le crown-gall en particulier, ont fait l’objet de nombreuses recherches: étude directe de la transformation tumorale, étude des transformations physiologiques et de la variation du pouvoir tumoral.

La recherche agronomique bénéficie largement des méthodes de culture histiotypique végétale. La technique de clonage à partir de protoplastes (cellules végétales isolées du parenchyme et débarrassées de leur paroi externe) permet la création de nouvelles variétés. Cette technique a été utilisée avec succès par J. Shepard, aux États-Unis, sur la pomme de terre. En France, au laboratoire de biologie cellulaire du C.N.R.A., on réalise des hybrides de protoplastes afin de produire des semences hybrides résistantes à certains agents herbicides.

Les cultures histiotypiques de cellules animales ont été utilisées dans de nombreux domaines de la biologie. Elles permettent une étude commode des cellules, car les récipients de culture sont aisément transportables et faciles à observer sous un microscope. Le problème de la division cellulaire a trouvé ainsi une solution remarquable à la suite des travaux de M. Chèvremont et de J. Frédéric; utilisant conjointement la culture et la microcinématographie, ces deux auteurs ont pu décrire dans tous ses détails le processus de la mitose (durée et analyse des différentes phases). Les cellules en culture se prêtent souvent bien au dénombrement de leurs chromosomes et par conséquent à l’établissement du caryotype (c’est-à-dire la carte de l’équipement chromosomique des cellules); ces recherches ont beaucoup contribué à la connaissance des syndromes chromosomiques des maladies dues à une altération du nombre de chromosomes.

Les cultures in vitro permettent aussi d’étudier l’action sur les cellules de différentes substances (drogues ou toxiques). Le phénomène de la mithridatisation a été ainsi étudié par J. Verne et ses collaborateurs. Les cellules en culture peuvent s’accoutumer aux toxiques; si, partant d’une dose très faible, incapable d’altérer les cellules, on augmente progressivement cette dose à chaque repiquage, on constate que les cultures arrivent à supporter des concentrations toxiques qui, employées d’emblée, seraient mortelles. Des chercheurs japonais, T. Kubo et M. Sasaki, ont réussi à accoutumer des cultures de fibroblastes à de fortes doses de morphine. Or, tout comme chez l’homme, si l’on arrête brusquement l’apport de cette drogue, les cellules présentent des troubles violents qui peuvent aboutir à la mort si les doses administrées préalablement avaient été très fortes.

Parmi les nombreuses autres recherches effectuées à l’aide de cultures, on retiendra l’étude des tissus cancéreux et celle des virus. On sait depuis longtemps obtenir des souches cellulaires cancéreuses et les entretenir indéfiniment. Deux de ces souches sont particulièrement utilisées dans les laboratoires du monde entier: la souche KB, isolée par H. Eagle à partir d’un épithélioma humain du plancher buccal, et la souche Hela, isolée par G. O. Gey à partir d’un cancer épidermoïde du col utérin. Leur malignité demeure inchangée au cours des repiquages successifs (dix-huit ans dans le cas de la souche Hela). Ces souches constituent d’excellents substratums pour la culture des virus tels que ceux de la poliomyélite, de la variole, des oreillons, du coryza. Les vaccins contre la poliomyélite ont été pour la plupart préparés et contrôlés par culture sur des cellules Hela. La culture histiotypique permet également de diagnostiquer certaines tumeurs de tissus nerveux.

La technique de clonage a permis un bond en avant dans l’utilisation des méthodes de culture histiotypique depuis la mise au point des techniques de fusion cellulaire (Okada, 1962). Ces méthodes ont permis la réalisation d’hybrides hétérospécifiques et, en particulier, d’hybrides entre cellules tumorales et cellules diploïdes normales. Ces dernières hybridations permettent la réalisation d’anticorps monoclonaux qui sont d’un intérêt considérable pour la recherche médicale.

Culture organotypique

Que devient un organe encore indifférencié transplanté in vitro , autrement dit quelles sont ses possibilités d’autodifférenciation? Considérons, par exemple, le cas des glandes génitales de l’embryon d’oiseau (travaux d’Étienne Wolff et Katy Haffen) prélevées à un stade où les futurs testicules et les futurs ovaires présentent la même structure. Après quatre jours de culture, les explants qui proviennent d’un embryon mâle se sont différenciés en testicules et ceux qui proviennent d’un embryon femelle se sont transformés en ovaires. Ce résultat prouve que les glandes génitales indifférenciées possèdent en elles, au stade du prélèvement, les facteurs de leur différenciation. On sait d’ailleurs actuellement, à la suite d’expériences d’inversion sexuelle qui ont été également réalisées in vitro , que ces facteurs sont les hormones sexuelles.

La croissance in vitro des os longs offre un autre exemple d’autodifférenciation. Explanté après sept jours d’incubation – selon la méthode de Wolff et Haffen –, un tibia d’embryon de poulet a doublé ou triplé de longueur après dix jours de culture (M. Kieny). Les diaphyses se sont allongées, les épiphyses se sont creusées de poulies et de facettes articulaires comme dans le développement normal. Ces observations montrent que de tels organes se développent indépendamment les uns des autres. Ils se façonnent en fonction de propriétés intrinsèques et non de causes extérieures telles que le frottement mutuel de deux surfaces articulaires.

Un dernier exemple de différenciation autonome, tout à fait spectaculaire, est celui du développement d’un œil d’embryon de poulet. L’ébauche oculaire est prélevée à soixante-douze heures d’incubation (stade où la rétine est encore incolore). Après trois jours de culture, la surface extérieure s’est fortement pigmentée, sauf au sommet de l’œil, à l’endroit où se forme l’iris et où l’on voit s’ébaucher le cristallin (R. Reinbold).

Outre les études sur l’autodifférenciation, la culture organotypique a des possibilités pratiquement illimitées. En effet l’expérimentateur peut recourir à toute une gamme d’interventions: action de substances hormonales, toxiques ou tératogènes; mise en contact (parabiose) de plusieurs organes; dissociation et réassociation des tissus qui composent un organe. Ces dernières expériences comportent une infinité de variantes puisque l’on peut réassocier non seulement les tissus provenant d’un organe du même individu, mais aussi d’individus appartenant à des espèces, des genres ou des classes différents, ou encore d’âges différents.

Les besoins nutritifs des organes ont fait aussi l’objet de nombreuses recherches, celles d’Étienne Wolff et de ses collaborateurs en particulier. L’expérimentateur a recours, comme il a été vu plus haut, à des milieux entièrement synthétiques. Il est donc possible d’ajouter ou de retrancher une ou plusieurs des substances constituant le milieu et d’en observer l’effet sur la croissance et la différenciation des organes.

L’étude des tissus cancéreux, enfin, bénéficie largement des techniques de culture organotypique. S’il est possible de réaliser des cultures histiotypiques de cellules cancéreuses à partir des tumeurs malignes, ces cultures présentent un aspect commun à toutes les cellules cultivées: celui de masses cellulaires sans structures particulières. La morphologie de la tumeur d’origine a disparu, bien que les cellules gardent tout leur pouvoir malin. Or ces mêmes cellules, explantées dans des conditions de croissance organotypique selon la méthode mise au point par Étienne et Émilienne Wolff, reprennent une structure organisée qui se conserve tout au long de la culture, à travers les repiquages successifs.

De nombreuses tumeurs d’origine humaine ont été cultivées par Étienne et Émilienne Wolff directement après le prélèvement sur les patients. Les explants tumoraux, associés à des fragments de mésonéphros, ou rein embryonnaire de poulet, se cultivent fort bien. On citera deux cas: une métastase hépatique d’une tumeur d’origine digestive (Z 200) et un épithélioma muqueux du côlon descendant (Z 516), qui prolifèrent d’une façon très intense à partir de 1962 et 1963. La structure histologique de ces deux tissus se maintient parfaitement. Ces mêmes tumeurs (Z 200 et Z 516) ont pu être cultivées sur des substratums non vivants, tels que l’extrait de levure, le dialysat de levure, les dialysats de mésonéphros et de foie embryonnaire de poulet (Étienne Wolff, Émilienne Wolff, Y. Croisille et J. Mason). Elles ont chacune une morphologie tout à fait caractéristique, fort différente l’une de l’autre, si bien que l’aspect macroscopique seul suffit à les reconnaître.

Un développement particulier de la technique organotypique de É. Wolff et K. Haffen a été donné, depuis 1975, au laboratoire de biologie cellulaire expérimentale de l’université de Compiègne (M. et M.-F. Sigot). Cette méthode y est adaptée à l’étude de la biocompatibilité des cellules vis-à-vis de matériaux artificiels utilisés en chirurgie. Elle se développe sur deux plans: mise au point de tests permettant l’évaluation des matériaux à usage prosthétique et étude des interactions cellules/matériaux au niveau de la biologie de la cellule.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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